POTS DE VIN
Chapitre I
4 mai, 00h31
Rien ou si peu. Les réverbères se tordaient de douleur dans les reflets de l’asphalte trempé de la capitale. Sous une lune en raie de fesses, qui signait l’obscurité d’une virgule phosphorescente, quelques carcasses calcinées de voitures se faisaient rattraper par la rouille. Un lendemain d’émeute ordinaire ; la banlieue était descendue sur la ville. Deux heures du matin et des brouettes, la nuit filait son train, zébrée d’une pluie fine. Une odeur rance et pollinique trahissait une qualité de l’air cancérogène. Sale temps pour les asthmatiques au cœur frêle et las. N’importe, au détour d’une ruelle, deux trois pucelles éméchées, garçons itou, chantaient des hymnes mélancoliquement rock. L’écho absorbait cette ivresse adolescente, anarcho-cérébrale, quasi-pornographique, pour remonter, mêlée d’une inquiétante sirène des SMUR, jusqu’au dernier étage du commissariat.
- Petits cons… fouille-merde !, lâcha le commissaire Bronski avec indifférence, comme par automatisme.
Livide, Destouches regardait les gouttes d’eau serpentant sur la vitre comparables à des spermatozoïdes se frayant un chemin jusqu’à l’ovule glouton. Il plongea machinalement son regard dans la rue avant de claquer la fenêtre dans un bruit sourd.
- On est dans d’beaux draps mon commissaire ! Que va-t-on devenir… ?! Je m’en doutais… ça devait finir par arriver… Avec vos manigances mon commissaire, c’est nous qui allons finir au placard un de ces quatre. Je vous en ferai, moi, de vos entourloupes, de vos combines, de vos pots de vin…
- Ne prononcez plus ce mot Destouches, intervint le commissaire avant même que son lieutenant n’ait fini d’en finir. Vous ne m’avez jamais parlé de la sorte… Quelles entourloupes ?!... la roue tourne, voilà tout ! On a joué, on a perdu. Maintenant, il faut garder son calme…
(…)
- …j’ai eu quelqu’un du ministère ce matin, fit Bronski d’une voix plus douce et rassurante, conscient d’avoir été un peu dur, avant d’engloutir une gorgée cuivrée. J’ai eu le chef de cabinet Aubret qui a sauvé sa tête, poursuit-il grimaçant, il m’a proposé quelque chose… d’accepter au plus vite de quitter Paris pour une mission dans le Jura… il ferait table rase du passé et basta… il doit rappeler dans la nuit pour confirmer… c’est notre chance, la seule… on accepte, on se la ferme…
Face à la fenêtre qui reflétait son visage, Bronski fit semblant d’ouvrir un dossier pour se mettre au travail, passer à autre chose. Son collègue restait prostré sur sa chaise, les yeux dans le vague, à contempler le buste du Père la Victoire tout en traçant des cercles dans la fine pellicule de poussière qui recouvrait son bureau en formica. Il regardait son doigt, les cercles, le buste, les cercles, son doigt… tel un demeuré. Dans sa tête, ses enfants couraient dans l’herbe poussant des rires de larsen.
- Dans le Jura ?, se reprit-il. Ah… c’est ça votre Tataouine… J’ai une tête à aller dans le Jura ?, s’apitoya le quinqua. Et mon épouse, mes enfants…
- Oui Destouches, dans le Jura, appuya son interlocuteur qui daigna le regarder.
- ….
- …je n’en sais pas plus que vous mon cher collègue, ajouta Bronski en soulageant ses démangeaisons sur le râble de son omoplate. Il s’agirait de retrouver un chanteur ou un poète, je ne sais pas quoi, j’ai pas très bien compris… suite à l’enlèvement d’une sirène, enfin un truc à dormir debout…
- …déjà que je dors mal… le Jura, le Jura…, se morfondit Destouches avant que le téléphone ne s’emballe.
- Taisez-vous Destouches, imposa le commissaire en saisissant le combiné.
(…)
Entre 3 grammes et 5 heures du matin
(anti) biographie d’HUBERT FÉLIX THIÉFAINE
Écrite par Jean-Charles Chapuzet
SORTIE LE 15 MAI 2009
(192 pages – 16 euros – Éditions Les Presses du Belvédère)
(anti) biographie d’HUBERT FÉLIX THIÉFAINE
Écrite par Jean-Charles Chapuzet
SORTIE LE 15 MAI 2009
(192 pages – 16 euros – Éditions Les Presses du Belvédère)
2 commentaires :
Oui et pas mal en effet ! "Deux trois pucelles éméchées, garçons itou, chantaient des hymnes mélancoliquement rock. L’écho absorbait cette ivresse adolescente, anarcho-cérébrale, quasi-pornographique"
J'aime quand on parle de moi !
Heureux de faire votre connaissance, chaste et imbibée pucelle Gaby.
Pour le bouquin, il m'a l'air délirant ! J'irai le commander chez mon libraire.
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