Paru il y a sept ans, 99 francs de Frédéric Beigbeder (vaguement rebaptisé 14,99 euros en 2001 puis 6 euros lors de sa sortie en poche) peut être résumé comme une description au scalpel du petit monde de la pub narrée par Octave Parango, le personnage principal du livre, concepteur-rédacteur de luxe dans la filiale française d’une des plus prestigieuse agences de pub internationale.
Le rôle d’Octave est de concevoir des scénarios de films publicitaires et des accroches pour les affiches, et d’abuser ainsi toutes les ménagères de moins de cinquante ans de la terre en transformant leur fantasmes en actes d’achats : une activité éminemment frustrante dont le mensonge et l’illusion sont les moteurs créatifs, ce dernier adjectif étant par ailleurs totalement usurpé. « Je me prénomme Octave et m’habille chez APC. Je suis publicitaire : eh oui, je pollue l’univers. Je suis le type qui vous vend de la merde. Qui vous fait rêver de ces choses que vous n’aurez jamais. Ciel toujours bleu, nanas jamais moches, un bonheur parfait, retouché sur PhotoShop. »
Son talent, et surtout son salaire, 13 000 euros par mois, font l'admiration et le respect de ses collègues de travail. La hype, le business, les putes et la coco font partie de son univers. En effet, Octave est propriétaire d'un appartement de cinq pièces à Saint-Germain-des-Prés (Paris), décoré par Christian Liaigre, porte un costume Éric Bergère et un caleçon Banana Republic. Il passe ses vacances à Saint Barth', prend de la cocaïne à 100 euros le gramme, et a un faible pour le roadster BMW Z3 (6 cylindres en ligne et 321 chevaux). Bref, Octave est le rêve incarné, l'idéal tant vanté par les publicitaires, et tant désiré par des millions d'européens moyens.
Heureusement pour le lecteur avide de sensations, si tout le monde aime Octave (et surtout sa réussite), celui-ci se déteste : entre autres déboires sentimentaux, le publicitaire hait son métier et la pub, mais celle-ci ne le lui rend pas. Il n'en peut plus, et cherche désespérément à se faire virer, sans y parvenir. De fait, il cherche également à se faire haïr du lecteur. Il cite souvent Goebbels et Hitler pour rappeler combien la publicité se rapproche de la propagande, compare les patrons d’agence à des chefs d’états-majors menant la troisième Guerre mondiale.
Un jour, cocaïne aidant, il pète les plombs et propose une campagne déplorable au directeur du marketing d’une grosse boite d’agroalimentaire, cliente principale de son agence. Dès lors, sermonné par ses supérieurs, il se met à déblatérer sur sa profession, à en décrire les travers dans une sorte de confession-délation drôle et déjantée, à recueillir tous les éléments dramatiques qui lui permettront d’écrire ce livre, et consécutivement de se faire licencier. Et ce livre en train de se faire est le livre 99 francs, Beigbeder, sous les traits d’Octave, se mettant lui-même en scène.
Car, si vous ne le saviez pas, Frédéric Beigbeder, l'auteur de ce roman, a passé dix ans chez Young et Rubicam, filiale française du plus grand groupe de publicité mondiale, où il exerça le même métier que son héros. Pour la petite histoire, cette agence le licencia pour faute grave à la lecture des épreuves du livre, avant même sa publication. Et Beigbeder perdit son procès contre son ancien employeur, en fin d'année 2001.
99 francs tient donc autant de la fiction, et donc du genre romanesque, que de la biographie, un dispositif expérimental qualifié par Michel Houellebecq d’« auto-fiction prospective » pouvant parfaitement convenir à cette œuvre. Sur les conseils des avocats de Grasset, certains noms réels furent changés, afin de ne pas s'attirer les foudres des entreprises les plus concernées (Danone en Madone, Young et Rubicam en Rosserys & Witchcraft). Mais la fermeture imposée par Danone à un site de contestation Internet, en mai 2001, est une étape historique : il devient désormais moins risqué en France d'insulter un politique qu'un marchand…
Ce court et original roman, riche en rebondissements, à l'écriture actuelle et moderne, bien écrit, avec un sens de la formule exceptionnel, bourré d'humour caustique et ciglant, puissant pamphlet drôle et désabusé, est plaisant à lire, et vous fera passer de très bons moments, tout en vous instruisant sur un milieu au sourire « Colgate ». Seule la fin, porno-gore, peut être sujette à caution. Et, surtout, 99 francs vaut pour sa description caricaturée, mais réaliste, du milieu publicitaire, et son analyse pertinente de ses dégât sur la société.
99 francs, roman de Frédéric Beigbeder paru en août 2000, disponible en format broché aux Editions Grasset (281 pages) et en format poche dans la collection Folio des Editions Gallimard (298 pages).
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