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jeudi 8 mars 2007

Les grandes blondes (2/3)



Mot de l’éditeur :

Vous travaillez pour la télévision. Comme vous souhaitez produire une série sur les grandes filles blondes au cinéma, mais aussi dans la vie, vous pensez faire appel à Gloire Abgrall qui est un cas particulier de grande blonde. On l'a vue traverser, dans les journaux, les pages Arts et spectacles puis les pages Faits divers du côté des colonnes Justice, il y a quelques années. Ce serait bien, pensez-vous, de lui consacrer une émission. Certes. Malheureusement, Gloire est un peu difficile à joindre.

Revue de presse : article de Pierre Lepape, Le Monde, 22 septembre 1995

Le talent d'Echenoz n'a jamais été aussi éclatant, maîtrisé et plaisant. C'est un bien grand crime en effet que de séduire ses lecteurs ; de les faire sourire et rire, de les enchanter de phrases légères comme du duvet, de distiller le saugrenu, de jouer avec la langue comme un chat avec une pelote de laine. Echenoz déploie une écriture qui ne pèse pas, qui n'appuie jamais, comme si elle se refusait à exercer le moindre pouvoir de persuasion ou de coercition. Son pouvoir est ailleurs, dans l'ordre poétique. D'où l'étrange impression de se mouvoir dans un espace aérien, libéré des règles de la gravitation, agité de mouvements anarchiques et ludiques, gouverné par les seules lois de la fantaisie narrative et de la rigueur grammaticale. Nabokov et Queneau souvent donnent aussi le sentiment que leur écriture n'adhère pas, qu'elle n'est pas destinée à coller au réel, mais à d'autres usages moins gluants.

Revue de presse : article de Jean-Pierre Tison, Lire, novembre 1995

Le titre du septième roman de Jean Echenoz, Les grandes blondes, annonce bien la couleur. Naturelles ou teintes, elles sont souvent de mèche avec la fatalité. «C'est comme si elles constituaient un groupe à part, une irréductible catégorie d'humanité.» En évoquant leur place et leur rôle au cinéma, dans les beaux-arts, etc., on pourrait tourner une grande série télé. C'est ce que se dit le producteur imaginé par l'écrivain qui, lui-même, doit avoir un faible pour les grandes blondes hitchcockiennes, les Grace Kelly, Eva Marie Saint et autres Tippi Hedren. Le lac glacé de leur regard laisse parfois deviner une fêlure peu propice au patin. A moins d'aimer craquer.

Gloire Abgrall a ce genre de fêlure-là. Sous son pseudonyme de Gloria Stella, elle a connu son heure de célébrité. Parmi ses succès, un quarante-cinq tours intitulé Excessif. Tout excès incite à dire «Faut pas pousser». Mais justement, elle pousse... dans le vide. Chez elle c'est même une manie. Elle a fait quatre ans de prison pour avoir précipité son amant-agent d'un quatrième étage dans une cage d'escalier. Qu'est devenue Gloria? Bonne question. La retrouver et l'inviter à la télévision, dans la série des «Grandes blondes», ferait exploser l'Audimat.

Le producteur lance donc des enquêteurs à sa recherche. De la Bretagne à l'Inde en passant par l'Australie. De falaise en pont, de cathédrale en balcon, on suit ses points de chute. Mais à peine est-elle repérée qu'elle disparaît. Et elle fait parfois disparaître son poursuivant. Sic transit Gloria...

De cette poursuite Jean Echenoz tire un roman fracassant. En démiurge narquois il enrichit même la Création d'un homoncule appelé Béliard. Seule Gloria le voit. C'est un peu son démon gardien. Free lance. Il mesure trente centimètres. Il se pose sur son épaule, comme une aile. Et tous deux s'envolent dans de grandes conversations, ou querelles. Est-il le fruit d'une hallucination «forgée par l'esprit déréglé de la jeune femme» ou existe-t-il vraiment? Encore une excellente question qui tient jusqu'au bout le lecteur en haleine.

Jean Echenoz fait rebondir brillamment l'action et peint de manière très fidèle les différents milieux où elle se déroule: maison de production, maison de retraite, agence de détectives, officine de trafiquants, palace indien...

Le jeu de piste est captivant, mais il va sans dire que la vraie recherche, celle qui jour et nuit mobilise l'humanité tout entière - et les personnages de ce roman -, c'est la recherche de l'amour. Hitchcock ne dirait pas le contraire. Vertigo, Psychose, Pas de printemps pour Marnie... c'est toujours l'amour aux trousses, autant que la mort. Le roman se plaît à citer ces films plus ou moins explicitement.

Lire au premier degré Les grandes blondes, comme un feuilleton, procure de délectables sensations qui n'empêchent nullement de savourer ses ironiques subtilités. Bien qu'il soit difficile de surpasser les trouvailles du Lac ou de Nous trois, cette fois encore Jean Echenoz nous épate. Il faut avoir le cœur bien accroché pour accompagner Gloria jusqu'à la dernière scène, qui reste littéralement en suspens: dans une cabine de téléphérique. Bloquée. Il n'y a donc point de fin définitive. Point de chute.



Les grandes blondes, roman de Jean Echenoz, disponible en format broché et poche aux Editions de Minuit.

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